INAUGURATION
DE
T/INSTITUT PASTEUR
8 JAN 89j| INAUGURATION
L'INSTITUT PASTEUR
Le 14 novembre 1888 a eu lieu l'inauguration de rinslilul Pus-
leur, situé rue Dulot. Les maisons voisines s'étaient pavoisées comme
pour une fête nationale. Des trophées de drapeaux ornaient la l'açade
de l'Institut Pasteur, bâti en briques et en pierres, dans le slyle
Louis XIII. On lit sur le fronton : « Souscriptionpubliquel888. » Touten
étant monumental, l'aspect de rédifice est simple, sans ornementation
et sans sculpture. On accède au bâtiment principal, qu'une grille et un
terre-plein de gazon séparent de la rue, par dix marches qui condui-
sent à une grande porte d'entrée. Une galerie intérieure relie ce bâti-
ment aux deux ailes où seront installés le service du traitement de la
rageettous les laboratoires d'enseignement, de recherches et d'études.
Dès midi, les portes étaient ouvertes. M. Pasteur, qui avait à ses
côtés son fils, secrétaire de l'ambassade de France auprès du Quirinal,
et son gendre, M. Vallery-Radot, se tenait sur le seuil de la salle
d'inauguration, située à gauche du perron, et recevait les invités.
L'illustre savant portait le grand cordon de la Légion d'honneur et la
plaque de grand-croix de Sainte-Anne de Russie. La salle, décorée de
drapeaux tricolores, pouvait contenir six cents personnes. Dans le fond,
se dressait une large estrade dominée par le buste de la République.
A droite et à gauche s'élevaient les bustes de deux grands souscripteurs :
le tsar et l'empereur du Brésil, puis entre les fenêtres, les bustes de
M. le baron de Rothschild et de M""" Boucicaut. Deux socles étaient
réservés pour les bustes de M. le comte de Laubespin et de M"" Fiirtado-
ITeine.
A une heure et demie, M. le Président de la République, accom-
pagné du général Brugèrc et de deux officiers d'ordonnance, arrivait
en landau devant le perron. Il était salué par l'hymne national
exécuté par la musique de la Garde républicaine. M. Pasteur, après
avoir descendu les marches pour aller au devant de M. le Présidenlde
6 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
la République, le conduisit dans un salon d'uUenle où s'éLuil n-uni le
cortège officiel composé de : M. Méline, président de la Chambre des
députés; M. Floquet, président du Conseil des ministres; M. Lockroy,
ministre d(! l'instruction publique; M. Peytral, ministre des finances;
M. Pierre Legrand, ministre du commerce; M. Vielte, ministre de
l'agriculture; M. Bourgeois, sous-secrétaire d'Etat du ministère de
l'intérieur; M. Poubelle, préfet de la Seine; M. Lozé, préfet de police.
Le comité de l'Institut Pasteur était représenté par M. Bertrand,
président, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, membre de
l'Académie française, MM. Camille Doucet, JulesSimon, H. Wallon, Dela-
borde,le baron A. de Rothschild, Christophle et le docteur Grancher.
Ainsi formé, le cortège fît son entrée dans la salle et monta sur
l'estrade où des places avaient été réservées aux sénateurs et aux
députés, parmi lesquels on remarquait : MM. Léon Say, Berlhelot, de
Marcère, le comte de Laubespin, Devès, Jules Ferry, Henri Brisson,
Spuller, Lévêque, Ribot. Venaient ensuite : MM. Le Guay, sous-
gouverneur du Crédit Foncier de France ; Jourde, directeur du Siècle;
Palinot, directeur du Journal des Débats; Reinach, directeur de la
République Française ; Liard, directeur de l'enseignement supérieur:
Monod, Lavisse, Peyron, Collin, Dujardin-Beaumetz, directeur général
du service de santé des armées, E. Tisserand, directeur de l'agriculture.
Au premier rang des invités, et face à l'estrade, avaient pris place
M. le général Menabrea, ambassadeur d'Italie; M. l'ambassadeur de
Turquie; M. le ministre du Brésil; M. Kotzebue, conseiller de l'ambas-
sade de Russie. Puis immédiatement après, parmi les membres de
l'Académie française : MM. Legouvé, Duruy, le diic de Broglie,
Rousse, John Lemoinne, Gaston Boissier, Mézières, François Coppée ;
les membres de l'Académie des sciences : MM. Hébert, Cbauveau.
Bouchard, Verneuil, Troost, Friedel, Mascart, Schlœsing, Jan?sen.
Tisserand, Wolf, Gaudry, Cailletet, Grandidier ; parmi les membres
des autres sections de l'Institut de France : MM. Guillaume, Delaunaj-,
Perrot, Alex. Bertrand, Beaussire; parmi les membres de l'Académie
de médecine : MM. Ilérard, président, Bergeron, Proust, Ricord, Trélal.
Guéneaude Mussy, Dujardin-Beaumetz, Villemin, Gavarret, Lannelon-
gue, le b^^Larrey, Rochard, Alphonse Guérin, llayem, Mathias Duval,
Roger, Péan, A. Gautier, Féréol, Laboulbène, Laborde, Worms, Buc-
quoy, Labbé; parmi les médecins étrangers spécialement délégués
pour cette séance d'inauguration : MM. MetchnikolT. Gamaleïa,
Bujwid, Kraïouchkine, Helman.
Debout, au pied de l'estrade, une députation des étudiants de
Paris, leur drapeau déployé, formait comme une garde d'honneur
de la jeunesse et du travail.
li\ALJ(iL]llATION DE L'INSTITUT l'ASTEUR. 7
Plusieurs pages ne sullii'aient pas à énuraérer tous ceux qui, parmi
les hommes de science et les publicistes, les anciens élèves de
M. Pasleur, MM. Raulin, Gayon, Maillot et ses disciples actuels, les
souscripteurs importants, s'étaient placés plus ou moins facilement
dans cette salle devenue trop petite. A la porte et jusque dans la
galerie se tenaient debout les hommes les plus connus, les plus
célèbres, ne pouvant entrer dans la salle et ne s'en étonnant pas.
La séance s'ouvrit et M. Bertrand prononça le discours suivant :
DISCOURS Di; M. «ERTU.WD.
Messieurs,
La tâche qui m'est échue est plus douce que facile. Je n'ai
rien à vous apprendre et les paroles me manquent pour remer-
cier dignement le chef de l'Etat, la réunion imposante et les
savants illustres qui parleur bienveillance, leur protection et leur
concours empressé hâteront nos progrès aujourd'hui certains.
Nos espérances sont g-randes : je n'ai pas à les dire aujour-
d'hui. Laissons à l'avenir sa part de joies et de triomphes , le pré-
sent nous suffit; le nom de Pasteur, pour égaler les plus illus-
tres, n'a pas besoin de grandir encore.
Depuis quarante ans, mon cher Pasteur, vous laissez venir la
gloire sans la poursuivre. Entre tant de routes où souvent on la
cherche, vous n'en connaissez qu'une, celle de la vérité. Là
comme ailleurs on peut la rencontrer, voti'e renommée en est la
preuve.
La date du 14 novembre 1888 restera immortelle dans l'his-
toire de la médecine. Permettez-moi^ pour toute contribution à
cette belle journée, de me reporter un instant vers le temps déjà
ancien de vos premiers succès.
L'éclat de vos débuts ne pouvait frapper que les savants.
Quelques-uns seulement vous ont deviné et compris. Leurs
noms, célèbres ou illustres, recevront un éclat nouveau du
patronage empressé, spontanément offert à votre gloire nais-
sante.
En rappelant dans cette fête le souvenir de Biol, de Sénar-
mont, de Claude Bernard, de Balard et de J.-B. Dumas, je
réponds, j'en suis sûr, à vos sentiments les plus chers.
8 INAIJGUUATION DE L'INSTITUT PASTEIJK.
Je ue céderai pas à la tentation de passer en revue Je long
enchaînement des travaux admirés par de si grands juges. On
vous rencontre sur toutes les voies de la science. Je m'écarterais
du but de cette réunion en y cherchant à votre suite la trace
ineffaçable de votre empreinte.
Yos condisciples , longtemps avant vos maîtres , avaient
beaucoup auguré de vous.
Dans un rapide voyage sur les bords du Rhin, c'était en
4847, j'avais eu la bonne fortune de rencontrer et d'associer à
mes excursions un des plus brillants élèves de l'École dont
vous êtes la gloire. Curieux de toute science, savant dans l'his-
toire de l'esprit humain, Emile Verdet savait tout comprendre.
Jugeant de haut les gloires du passé, il portait sur l'avenir
de clairvoyants regards.
Pendant une belle soirée d'été, sur les confins de la Forêl-
Noire, nous abordâmes les plus difficiles problèmes. Encouragés
par une confiance mutuelle, nous laissions ce jour-là, quoique
sceptiques tout deux, libre carrière à nos espérances. Nous nous
demandions quels seraient parmi nos amis jeunes encore, les
mieux armés pour réaliser nos ambitieuses rêveries.
Beaucoup de noms furent prononcés, plus d'une célébrité
latente alors, fut prédite par Verdet qui ne se trompa guère ; il
me parla de son ami Pasteur. Je vous connaissais à peine. Je
n'eus pas l'occasion de vous dire au retour les pronostics de ce
penseur judicieux et sévère.
Votre modestie, aujourd'hui mieux aguerrie, en aurait cer-
tainement souffert. Verdet cependant faisait sur chacun des
réserves. Sur vous comme sur les autres, il conservait des
doutes. « Pasteur, me dit-il, ne connaît pas les limites de la
science. Je crains pour lui de stériles efforts! il aime les problèmes
insolubles. » Pouvail-on, je vous le demande, messieurs, se
tromper avec plus de perspicacité?
Les problèmes qui, depuis un demi-siècle , tourmentent
sans repos votre esprit, ne sont plus insolubles aujourd'hui. C'est
pour vous en remercier au nom de la science, pour nous en
réjouir au nom de l'humanité, pour nous en glorifier tous
ensemble au nom de la France, que nous sommes réunis
aujourd'hui.
INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
9
Il élait impossible de mieux résumer l'état des esprits et de dire
plus simplement de si grandes choses.
M. le docteur Grancher prit ensuite la parole et, dans un discours
que nous donnons i)i e.vtenso, rendit compte des résultats de la vacci-
nation antirabique non seulement en France, mais dans le monde entier.
Au cours de cet exposé lumineux se trouve une page historique des
luttes soutenues :
DISCOURS DE M. LE PROFESSEUR GRANCHER.
Monsieur le Président de la République,
Messieurs,
La communication que M. Pasteur fit à l'Académie des
sciences^ le 26 octobre 188S, dans laquelle il annonçait que le
jeune Meister avait subi avec succès l'inoculation antirabique,
causa dans le monde scientifique un émoi profond. C'était, en
effet, lapremière application à l'homme d'une méthode générale
de traitement des maladies virulentes et contagieuses, et l'on
comprend aisément l'enthousiasme et les espérances des uns, le
scepticisme, l'hostilité même des autres.
Après Meister et Jupille, les blessés affluèrent en si grand
nombre, que M. Pasteur et ses collaborateurs, pris au dépourvu,
durent improviser une organisation sommaire de tous les ser-
vices accessoires de la vaccination antirabique : inscription des
malades, pansement des plaies, correspondance, etc., etc., de
sorte que l'année 1886 fut absorbée tout entière dans l'énorme
labeur exigé par la vaccination de 2,682 personnes françaises ou
étrangères, chaque personne recevant, en moyenne, quinze à
vingt inoculations. M. Pasteur sentait dès ce moment le besoin
impérieux d'un journal ou d'une revue, organe officiel du labo-
ratoire, qui pubUerait mensuellement la statistique des vacci-
nations; malheureusement, sa santé, sérieusement ébranlée par
les fati^'ues et les émotions, le força à quitter Paris avant la fin
de 1886, et les A7t)iales de finslitut Pasteur, fondées par M. Du-
claux, professeur de chimie biologique à la Sorbonne, ne paru-
rent qu'en janvier 1887.
Cependant, les adversaires de la méthode de M. Pasteur ne
10 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
manquaient pas de tirer parti de notre silence, et, profitant de
quelques insuccès survenus dans le cours et à la fin de 1886, ils
racontaient çà et là que le laboratoire cachait ses morts, dont
le nombre était légion. Ils allaient même jusqu'à dire que la
nouvelle méthode donnait la raye au lieu de la guérir.
Au commencement de janvier 1887, l'Académie de médecine
fut saisie de la question, et nous pûmes enfin combattre par des
faits et par des chiffres ces bruits calomnieux qui troublaient
l'opinion publique et risquaient de jeter l'effroi parmi nos malades.
En même temps, les Sociétés savantes de Naples, de Vienne et de
Saint-Pétersbourg retentissaient du bruit de la querelle des Pas-
toriens et des Antipastoriens.
Dans ces discussions scientifiques où l'attaque et la défense
furent également ardentes, tout a été dit pour et contre la méthode
des vaccinations antirabiques ; les adversaires soutenant que la
méthode est inefficace ou dangereuse, selon les cas , les partisans
proclamant, au contraire, que la vaccination antirabique est inof-
fensive et merveilleusement efficace.
La bataille, suspendue pendant plusieurs mois, fut reprise en
juillet, en présence de M. Pasteur, qui répondit à ses contradic-
teurs avec sa vaillance accoutumée. Elle avait été provoquée par
le rapport de la Commission anglaise que M. Pasteur présentait
à l'Académie.
Cette Commission officielle, composée des savants les plus
célèbres de l'Angleterre, avec un jeune et habile physiologiste,
M. V. Horsley, pour rapporteur, était arrivée à Paris fort incré-
dule. Après une enquête approfondie des faits, elle revint en
Angleterre et répéta les expériences de M. Pasteur ; son contrôle
expérimental dura plus d'une année. La conclusion de la Com-
mission, au grand désappointement de nos adversaires, fut, je
cite textuellement : que M. Pasteur avait découvert une ?ne't/wde
prévejitive de la rage comparable à celle de la vaccination contre
la variole.
La discussion académique fut close enfin par les paroles sui-
vantes de M. Charcot :
« Oui, l'inventeur de la vaccination antirabique peut, aujour'
d'hui plus que jamais, marcher la tête haute etpoursuivre désor-
mais l'accomplissement de sa tâche glorieuse sans s'en laisser
détourner un seul instant par les clameurs de la contradiction
INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. Il
systématique ou par les murmures iusidieux du dénigrement. »
Celte parole si autorisée fut entendue de tousetl'année 1888
s'est écoulée pacifiquement.
Messieurs, avant de vous présenter nos statistiques, je vou
drais vous dire quelles sont, à mon avis, les causes de cette
hostilité que la vaccination antirabique a rencontrée si pas-
sionnée.
Vous savez que M. Pasteur est un novateur, que son imagi-
nation créatrice, réglée par l'observation rigoureuse des faits, a
renversé bien des erreurs et édifié à leur place toute une science
nouvelle. Ses découvertes sur les fermenis, sur la g-énération
des infiniment petits, sur les microbes causes des maladies con-
tagieuses, et sur la vaccination contre ces maladies, ont été pour
la chimie biologique, pour l'art vétérinaire et pour la médecine,
non pas un progrès régulier, mais une révolution radicale.
Or, les révolutions, même celles qu'impose la démonstration
scientifique, laissent partout oti elles passent des vaincus qui ne
pardonnent pas aisément. M. Pasteur a donc, de par le monde,
beaucoup d'adversaires, sans compter ces Français d'Athènes
qui n'aiment pas que le même homme soit toujours [juste ou
toujours heureux.
Et, comme si ses adversaires n'étaient pas encore assez nom-
breux, M. Pasteur s'en fait d'autres par la rigueur implacable
de sa dialectique et par la forme absolue qu'il donne quelquefois
à sa pensée.
Cette forme peut être dangereuse, surtout dans les choses de
la médecine, où l'ien n'est absolu, et oià les exceptions à la règle
sont toujours nombreuses. Or, M. Pasteur, par habitude d'es-
prit, néglige volontiers ces faits contingents qui ne sauraient,
il est vrai, prévaloir contre la loi, mais qui, lorsqu'il s'agit d'une
médication appliquée à l'espèce humaine, méritent d'être com-
ptés. Il a donc purement et simplement proclamé l'efficacité de
sa méthode de traitement de la rage, sans faire ses réserves sur
la possibilité d'échecs partiels, tandis que, s'il eût été médecin,
il eût instinctivement pris ses précautions en prévoyant la possi-
bilité d'insuccès. Il n'en fit rien et s'exposa ainsi aux coups de
la médecine traditionnelle.
Or, pour comprendre la résistance de la médecine aux décou-
12 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
vertes de M. Pasteur, il sufllt de jeter un regard sur les mouve-
ments qui l'agitent depuis quinze ans.
Nous savions à peine que, dans certaines maladies, le sang,
les humeurs et les tissus sont occupés par des êtres infiniment
petits, lorsque M. Pasteur, conduit par ses travaux sur les fer-
ments, s'est jeté dans cette voie, nouvelle pour lui et pour nous.
Et quelles découvertes il y fait coup sur coup ! Il nous éclaire;
ce n'est pas assez dire, il éblouit nos yeux habitués au demi-jour
de la médecine hippocratique.
Voyez M. Pasteur en face delabactéridie charbonneuse. Non
seulement il en fait la biologie, non seulement il nous prouve
qu'elle est la cause unique du charbon, mais il éduque, il disci-
pline cet infiniment petit et lui apprend à servir contre soi-même
et à devenir son propre vaccin. L'expérience de Pouilly-le-Fort,
longuement préparée par les travaux de laboratoire de MM. Pas-
teur, Chamberland et Roux, est célèbre dans le monde entier.
Lorsque, au Congrès de Londres, en 1881, M. Pasteur
annonça cette grande découverte de l'atténuation des virus et
de la vaccination du choléra des poules et du charbon, un des
hommes les plus compétents en microbie, M. Koch, aurait dit :
« C'est trop beau pour être vrai ! » et, trois mois après, dans le
premier numéro des Mittheilungen de Berlin, il prenait résolu-
ment parti contre M. Pasteur. Depuis, M. Koch a concédé que
l'atténuation et la vaccination sont des faits exacts et d'une
grande portée scientifique, mais il nie peut-être encore aujour-
d'hui la valeur pratique de ces vaccinations. Et cependant le
vaccin charbonneux se répand partout où le charbon existe :
en France, en Italie, en Hongrie, en Espagne, aux Indes, en
Australie. Quelle meilleure preuve de sa valeur scientifique et
pratique !
Cette opposition ne troublait pas M. Pasteur qui nous
disait : « Eh bien! qu'ils nient l'atténuation des virus et la vacci-
nation, nous aurons sur eux dix ans d'avance! »
Et le charbon est à peine achevé que M. Pasteur s'attaque
à la rage. Là, pendant plusieurs années, avec l'aide de M. Roux,
il fait expériences sur expériences et arrive à des résultais plus
merveilleux encore. Le microbe de la rage a échappé jusqu'ici à
tous les reg'ards, mais il existe assurément. Eb hienl sans le
connaître autrement que par ses effets, M. Pasteur a trouvé le
INAUGURATION Dl-: I/INSTI TIfT PASTiaîR. 13
moyen de l'iililiser comme malièro vaccinale. Et surtout,
M. Pasteur a osé proposer la vaccination aprës morsure, c'est-à-
dire après infection. Or, les médecins ont toujours vécu sur ce
dogme qu'un virus, quel qu'il soit, qui a pénétré dans le corps
humain est désormais inattaquable et doit y produire ses eiïets.
La résistance des médecius à tant de nouveautés subver-
sives est donc bien compréhensible. Pour reconnaître qu'on a
appris d'abord, pïiis enseigné des erreurs, il faut, outre l'étude
personnelle et impartiale des faits nouveaux, une certaine lar-
geur d'esprit qu'on ne rencontre pas toujours, même chez les
hommes les plus distingués.
M. Pasteur, heureusement pour lui et peut-être même pour
nous, n'est pas médecin. Expérimentateur sans idées préconçues
et sans préjugés d'école, il a créé, à côté de la médecine tradi-
tionnelle qu'il ig-nore, une médecine nouvelle que ses contradic-
teurs ignorent à leur tour. Cette médecine est fondée sur cette
idée que la spontanéité morbide n'existe pas pour les maladies
infectieuses, et que les lois de la pathologie générale sont com-
munes aux hommes et aux animaux. Combien de médecins,
cependant, ont été élevés à croire le contraire ! Gela étant, com-
ment s'étonner de leur opposition et de leur révolte? Je trouve,
pour ma part, leur scepticisme fort excusable, puisqu'il procède
des idées traditionnelles, c'est-à-dire de l'esprit de conservation.
Il ne faut pas oublier toutefois, et M. Pasteur n'oublie pas,
qu'à l'heure critique, il s'est trouvé, pour défendre la vaccina-
lion antirabique, une élite de médecins, hommes de science et
d'avant-garde, dont l'autorité, universellement reconnue, a fait
pencher le plateau de la balance du bon côté. Au premier rang-,
Vulpian, qui non seulement avait suivi M. Pasteur, mais l'avait
poussé àlavaccination antirabique, Vulpian combattit et mourut
sur la brèche en défendant avec une éloquence enflammée la
méthode nouvelle.
A côté de Yulpian, les BrouarJel, les CharcoL, les Verneuil.
les Chauveau, les Yillemin se sont honorés en soutenant la
cause du progrès et en préparant son triomphe.
M. Pasteur eut ainsi la bonne fortune de trouver, même à
l'heure des défaillances et des défections, un double point d'appui,
d'une part dans la foule des malades qui n'hésita jamais, d'autre
part, dans la parole respectée de nos maîtres les plus éminents.
I
14 TNAlJfJUUATfON DR L'INSTITUT PASTEUR.
Beaucoup d'autres médecins parlageaienl la foi] scientifique de
M. Pasteur; je ne les nomme ni ne les connais tous, mais ils se
taisaient, et nos adversaires menaient un tel bruit dans toutes
les presses et les Académies qu'à les entendre, la vaccination
antirabique était morte.
Elle vit, Messieurs, et elle prospère, car il existe aujour-
d'hui, en comptant celui de Paris, plus de vingt instituts antira-
biques disséminés dans le monde entier. 11 y en a sept en
Russie : à Odessa, Saint-Pétersbourg, Moscou, Varsovie,
Charkow, Samara ei Tiflis; cinq en Italie : à Naples, Milan,
Turin, Palerme, Bologne, ces deux derniers créés récemment et
dotés par le roi. Un à Vienne, un à Conslantinople, un à Bar-
celone, un à Bucarest, un à Rio de Janeiro , un à la Havane, un
à Buenos- Ayres ; enfin à Chicago et à Malte, deux nouveaux
laboratoires sont en voie d'organisation.
L'Institut antirabique de Paris est en relation suivie avec ces
laboratoires dont les chefs sont tous venus, sauf deux, étudier ici
la méthode de M. Pasteur pour l'appliquer à leurs malades avec
ses perfectionnements progressifs.
Dès l'origine, nous avons classé nos malades en trois
tableaux A, B et C. Le tableau A contient toutes les personnes
mordues par des animaux reconnus enragés par preuve expéri-
mentale absolue. Dans le tableau B sont inscrites toutes les
personnes mordues par des animaux déclarés enragés par certi-
ficats de vétérinaires; c'est le tableau le plus chargé. Enfin, le
tableau'C contient toutes les personnes mordues par des ani-
maux suspects de rage. La suspicion résulte ici des circonstances
même delà morsure. Un chien inconnu traversant un village y
mord plusieurs enfants et des animaux, chiens, moulons, puis
disparaît. Si les personnes mordues se présentent au laboratoire,
nous les inscrivons dans le tableau C. En fait, ce tableau est de
plus en plus restreint, car notre sélection est de plus en plus
sévère, de telle sorte que je crois pouvoir affirmer que 98 % des
personnes admises à la vaccination ont été mordues par des ani-
maux enragés.
Notre statistique (jénérale comprend donc trois tableaux A.
B et C, réunis en un seul. Elle se subdivise en statistique parti-
culière à chacun des tableaux A, B et G et en statistiques spé-
INAUGURATION DE L'INSïlTUÏ PASTEUR'. 15
claks pour les morsures de la tête et, de la face, des mains, des
membres et du tronc.
Pour ne point fatiguer inutilement votre attention, je ne
prendrai que quelques chiffres. Les Annales de r Institut Pasteur
qui publient les tableaux mensuels donneront les tableaux com-
plets.
Le nombre des personnes traitées à Paris pendant les années
-1886-1887 et la première moitié de 1888 s'élève à :i,374. En
1886, 011 l'affluence des étrangers était considérable, nous avons
inoculé2, 682 personnes, 4,778 en 1887 et 91 4 jusqu'au l^"- juillet
1888.
Le taux de la mortalité, en comptant tous les morts, même
ceux pris de rage le lendemain du traitement, est, pour 1886, de
1,34 «/o,pour 1887 de 1,12, et pour 1888 de 0,77'.
Mais il convient d'écarter des tables de la mortalité les
personnes qui succombent à la rage dans les quinze jours qui
suivent le traitement, car la vaccination pour être efficace doit
être achevée avant que l'incubation du virus du chien mordeur
ait commencé dans les centres nerveux. Or, le virus de la rage
commune, porté directement à la surface du cerveau d'un chien,
y incube pendant quinze ou dix-huit jours avant d'y produire
ses effets.
Chez les malades qui succombent à la rage dans la quinzaine
qui suit le traitement, celui-ci a été inutile, parce qu'il a été
trop tardif, mais il n'a pas été mis en échec, parce que les
conditions de son efficacité n'étaient point réalisées.
En opérant cette défalcation, que pas un médecin ne saurait
nous refuser, le taux de la mortalité, malgré le traitement,
tombe pour 1886 à 0,93 "/o, pour 1887 à 0,67 Vo. et pour 1888 à
0,.^S «/o.
Ces chiffres sont sensiblement plus faibles que les premiers,
puisque la mortalité reste toujours au-dessous de I "/n- Mais les
uns et les autres donnent une mortalité progressivement
décroissante alors que notre choix des personnes admises au
traitement est de plus en plus sévère.
Messieurs, cette décroissance dans la mortalité tient aux
■1. Tous les chilïres de la statistique de -1888 ont été relevés sur nos registres
à la date du 31 octobre.
/
16 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
perfectionnements progressifs apportés .'i la première formule
de traitement. Nous faisons un traitement plus énergique, plus
prolongé, plus intensif, pour prendre le mot de M. Pasteur qui
a fait tant de bruit, et le traitement reste inoffensif. Cette effi-
cacité différente de la vaccination antirabique selon telle ou
telle formule, est la preuve la plus certaine de sa valeur théra-
peutique. Les savants russes qui combattaient la vaccination
antirabique à Odessa et à Saint-Pétersbourg le jugèrent ainsi, et
cessèrent toute opposition lorsque M. Gamaleïa leur eut montré
deux tables de mortalité fort différentes selon la méthode
employée.
A Odessa, le traitement simple appliqué à 136 personnes a
donné une mortalité de 5,88 "/o, tandis que le traitement intensif
appliqué à 997 personnes a donné une mortalité de 0,80
M. le D"" Bujwid, chef du Laboratoire de Varsovie, a fait de
son côté les mêmes observations. M. Bujwid, qui assiste à
cette séance, ne me contredira pas si je dis que quand il vint à
Paris y étudier la vaccination antirabique, il était fort sceptique.
Elève de Koch, et déjà très habile technicien en microbie, il
travailla avec nous plusieurs mois, puis, dans son laboratoire
privé à Varsovie, il pratiqua les inoculations antirabiques.
M. Bujwid étudia le traitement simple, en s'arrèlant à la
moelle de six jours. 193 personnes vaccinées donnèrent une
mortalité de 4,1 "/o- Au contraire, le traitement intensif appliqué
à des malades choisis sévèrement parmi ceux dont la morsure
était réellement dangereuse (30 étaient mordus au visage, dont
4 par des loups enragés) a donné les résultats les meilleurs : sur
370 personnes vaccinées jusqu'au septembre, il n'y a pas eu
de mort, de sorte que M. Bujwid est devenu un partisan très
convaincu de la méthode.
Nos statistiques particulières, dressées pour chaque tableau
A, B et C, conduisent aux mêmes conclusions. La mortalité,
dans Je tableau A qui ne contient que des personnes dont la
morsure était sûrement virulente, ne diffère pas sensiblement
de la mortalité du tableau C, qui comprend les personnes
mordues par des animaux simplement suspects. Pour les trois
années 1886-87-88, la mortalité dans le tableau A est de 1,36
en comptant tous les morts, et de 1.09 en ne comptant que les
morts survenues 15 jours après le traitement. Dans le tableau
INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 17
C, cette mortalité est de 1,30 7o ou de 0,34 Vo. Celte similitude
dans le chitTre de la mortalité pour deux tableaux en apparence
si didérents, prouve deux choses : 1" que le très grand nombre
des animaux mordeurs, dits suspects, étaient bel et bien atteints
de rage ; 2" qu'il y a lieu de traiter avec la môme sévérité les
personnes des tableaux A et C.
Les statistiques spéciales, drossées séparément pour les
morsures du visage, des mains ou des membres, témoignent à
leur façon de l'efficacité de la vaccination antirabique. On sait
que dans les anciennes statistiques, la mortalité moyenne de
toutes morsures était évaluée à 10, 15 ou 20 7o' selon les
observateurs, et que la mortalité par morsure faite à la tête ou
au visage s'élevait à 80 et 88 7o- J^ans nos tableaux, la mortalité
après morsure à la tête ou au visage est de 3,84 "/o si on compte
tous les morts; elle est en réalité de 1,82 si on écarte les
morts survenues dans la quinzaine qui a suivi le traitement.
Ainsi, dans ce genre de morsure, la moitié des morts survient
dans les quinze premiers jours après le traitement, ce qui est
une nouvelle preuve de leur gravité exceptionnelle. Mais, cette
période dangereuse passée, le traitement est presque aussi effi-
cace pour elles que pour les morsures communes. Nous nous
expliquons ce résultat par la vaccination particulièrement éner-
gique donnée aux personnes mordues à la tète ou au visage.
L'écart du chiffre réel de notre statistique : 1,82 "f^, et des
chiffres des statistiques classiques : 80 et 88 7o' 6St tellement
considérable qu'il est impossible de méconnaître l'intervention
bienfaisante du vaccin antirabique.
Les statistiques étrangères concordent avec les nôtres :
A Saint-Pétersbourg, le laboratoire fondé par Son Altesse
Impériale le Prince Alexandre d'Oldenbourg, et entretenu à ses
frais, a vacciné, depuis le 13 juillet 1886 jusqu'au 13 septembre
1888, 484 personnes. La mortalité moyenne a été de 2,68 7o-
Des renseignements fournis par M. le D"" Kraïouchkinc,
médecin de la station antirabique, il résulte que la mortalité,
un peu plus élevée que la nôtre, de cette statistique, s'explique
par la gravité extrême des morsures.
A Odessa, dans le laboratoire dirigé par M. le professeur
Metchnikoiï, M. le D'"Gamaleïa a vacciné :
18 INAlKiURATTON DE L'INSTITUT PASTEUR.
En 1886, ;i24 personnes par divers traitements simples.
Mortalité : 3,39 7„.
En 1887, 343 personnes par le traitement intensif. Morla-
litô : 0,S8 7„.
En 1888, 364 personnes par le traitement intensif. Morta-
lité : 0,64 "/„.
Pendant ces trois années, 1,135 personnes ont subi le trai-
tement antirabique avec une mortalité moyenne de 1,41 «/o-
A Moscou^ à l'Institut antirabique fondé sous les auspices du
prince Dolgoroukow, M. le Gwozdeiï a vacciné:
Eu 1886, 107 personnes par le traitement simple. Mortalité :
8,40 7„.
En 1887, 280 personnes par le traitement intensif. Morta-
lité : 1,27 o/n.
En 1888, 246 personnes par le traitement intensif. Morta-
lité : 1,60 Vo.
A Varsovie, M. Bujwid a inoculé :
297 personnes par divers traitements simples. La mortalité
moyenne a été de 3 "/o-
370 personnes avec la méthode intensive. La mortalité,
jusqu'ici, est nulle. (Déjà, 10 mois se sont écoulés depuis le
commencement de l'application de cette méthode et deux mois
depuis le traitement du dernier malade.)
A Samara, le D"" Parchenski a vacciné o3 personnes, dont
4 mordues par des loups. La mortalité, ici fort élevée : .3, 67 "/ot
s'explique par le traitement insuffisamment énergique et insuf-
fisamment prolongé, ainsi qu'il résulte des renseignements
fournis par une lettre du D'" Parchenski.
A Charkoïc, et probablement pour les mêmes raisons, mais
nous manquons de renseig-nements précis, M. le D' Protopopoff
a vacciné 233 personnes avec une mortalité de 3,80 "/o-
A Turin, M. Bordoni Uiïreduzzi a vacciné en 1886-87 et 88
S02 personnes appartenant au tableau A. Mortalilé 2.50 Vo- 221
appartiennent au tableau B. Mortalité 1.30 Vo- 43 appartiennent
au tableau C. Mortalité nulle.
A Mi/a?i, M. le D'" Jiaratieri a vacciné 335 personnes, 2 sont
mortes malgré le traitement : mortalité 0,60 Vo-
A Palerme, M. le prof. A. Celli a vacciné, du l*"" mars au
30 septembre 1888, 109 personnes sans insuccès.
INATIGriRATTON DE L'INSTITUT PASTEUR. 111
A Naples, M. le prof. Cantani, assisté de MM. les D''* Vestea
et Zagai'i a dù fermer son laboratoire, faute de subsides de la
municipalité, de janvier à août 1888.
Dans cette ville les adversaires de M. Pasteur, très nom-
breux, avaient réussi, malgré un vote de conliance et d'encou-
ragement de l'Académie de Naples, à ébranler l'opinion publique
et cl indisposer la junte municipale contre la méthode de M. Pas-
teur. Mais, pendant cette période d'interruption de sept mois,
9 morts par rage étant survenues à Naples, la municipalité a pro-
mis un subside, le gouvernement et la province de Naples en ont
promis d'autres, et le laboratoire a été ouvert de nouveau. Il est
aujourd'hui en plein fonctionnement.
246 personnes ont été vaccinées à Naples, 199 depuis le jour
de l'ouverture du laboratoire (22 septembre 1886) jusqu'à
janvier 1888 et 34 depuis la réouverture. La mortalité après vac-
cination est de 1,5 %•
A Constantinople, M. le général docteur Zoëros-Pacha a
vacciné 34 personnes, mortalité 0. — Cet institut a été fondé
par ordre et sous les auspices de Sa Majesté le Sultan.
A la Havane, dans l'Institut antirabique de M. le D"" Santos
Fernandez, M. le D'' Tamayo a inoculé 170 personnes, parmi
lesquelles cinquante mordues par des animaux dont la rage
fut prouvée expérimentalement. La mortalité est de 0,60 "/o-
A Rio de Janeiro, dans la station vaccinale due à l'initiative
de Sa Majesté l'empereur du Brésil, M. le D''Ferreira dos Santos
a vacciné 66 personnes. Jusqu'à présent il n'a pas d'insuccès '.
Messieurs, je ne puis passer sous silence la statistique du
département de la Seine qui, chaque année, estl'objetd'un rapport
spécial au conseil d'hygiène et de salubrité. Le rapport pour 1887
a été fait par M. le D'' Dujardin-Beaumetz qui a pris ses docu-
ments à la Préfecture de police, et, pour ce qui concerne les
personnes vaccinées, au laboratoire de M. Pasteur. Or, en 1887,
le nombre des personnes mordues et vaccinées s'élève k 306 sur
•i. Le laboratoire de Constantinople n'a pas été cité dans le rapport lu par
M. Grancher, le 14. novembre, parce que nous manquions à cette date de rensei-
gnements précis. Il en est de même pour la statistique de Turin. Pour l'Institut
de Rio de Janeiro, nous avions donné le chifTre do [VA personnes inoculées. Ce
• liiffre était exact à l'époque où nous avons reçu le rapport de M. Ferreira dos
Santos ; il s'élève aujourd'hui à 66.
20 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
lesquelles deux sonl mortes ' : mortalité 0,76 "/„; d'autre part,
sept cas de mort par rage sont survenus parmi les 44 personnes
qui figurent sur les listes administratives comme n'ayant pas subi
la vaccination antirabique. Dans ce groupe la mortalité atteint
15,90 7„, chiffre que M. Leblanc avait donné et que MM. Pasteur
et Brouardel avaient accepté comme représentant la mortalité
moyenne avant la vaccination.
Et M. Dujardin-Beaumetz conclut: « Je ne connais pas de
témoignage plus éclatant à invoquer à l'appui de la méthode des
inoculations. »
Le rapport de M. Beaumctz contient une autre conclusion
non moins intéressante,' c'est que la rage est une maladie qu'on
peut combattre par mesures sanitaires administratives. Il a rap-
pelé qu'en Allemagne la rage a presque disparu, grftce à une
prophylaxie intelligente. En effet, la rage n'est jamais spontanée,
elle est toujours transmise par inoculation d'un animal à un
autre, et de tous les animaux le chien est de beaucoup le plus
susceptible. Or, la surveillance des chiens est facile à exercer
quand l'autorité est vigilante et la population disciplinée.
Nous avons fait tracer un graphique qui donne la preuve écla-
tante du bon et prompt effet des mesures de police sanitaire. A
voir cette courbe rapidement décroissante, à partir de mai 1888,
époque de l'arrêté du préfet de police au sujet des chiens errants,
ne semble-t-il pas certain qu'avec un peu de persévérance de
la part des pouvoirs publics, et un peu de bonne volonlédelapart
de la population, on réussirait à réduire la rage à un petit nombre
de cas, en France comme en Allemagne?
Vous savez. Messieurs, que l'Institut Pasteur a été fondé non
seulement pour le traitement de la rage, mais aussi pour l'étude
scientifique des moyens de combattre pratiquement les maladies
qui déciment l'espèce humaine: la diphtérie, la fièvre typhoïde,
la phthisie, etc. Les vastes laboratoires qui vont s'ouvrir aux
médecins français et étrangers seront ainsi pour l'humanité une
source de bienfaits, et un puissant moyen de diffusion et d'expor-
tation de la science française.
1. Ces chiffres sont ceux du rapport de M. Beaunielz. Depuis que ce rapport
a 6té fait une troisième personne vaccinée a succombé ù la rage, ce qui élève l;i
mortalité à 0,97 "/o-
INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
21
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Courbe indiquant par mois le nombre de personnes mordues
dans le département de la Seine et traitées à l'Institut Pasteur.
M.Christophle, gouverneur du Crédit Foncier deFrance, le trésorier
de la souscription, lut un rapport sur l'exposé financier qui provoqua
dès les premiers mots les applaudissements.
DISCOURS DE M. CUUISTOPULE.
Monsieur le Président de la République,
Messieurs,
Le rapport de votre trésorier pourrait commencer comme un
conte de fées : Il était une fois, dans un coin de Paris, mais un
22 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
coin si peu connu des Parisiens qu'aujourd'hui encore il faut des
indications spéciales pour le découvrir, un vaste terrain qui
appartenait depuis cent cinquante ans à une famille de maraî-
chers. Les rares promeneurs qui s'égaraient dans ce quartier
pouvaient se donner le plaisir d'embrasser d'un coup d'œil onze
mille mètres de légumes. Chaque jour, depuis le lever du soleil
jusqu'à la tombée de la nuit, on voyait passer et repasser dans
cet enclos des braves gens qui avaient la philosophie de Candide,
sans l'avoir lu, et répétaient comme lui :
« Il faut cultiver son jardin. »
Or, un jour, à la (in de mai 1887, ainsi que l'on voit dans
Cendrillon une citrouille changée en carrosse doré, tous ces
pieds de laitue si correctement alignés semblèrent être frappés
par un coup de baguette et changés en tombereaux. Des centaines
d'ouvriers se précipitèrent sur cet hectare de salades. En un tour
de main, tout fut arraché, bouleversé. On creusa en toute hâte,
à d'énormes profondeurs, pour établir les bases d'un monument
que l'on voulait indestructible. S'il n'y avait pas eu à régler la
question du payement aux propriétaires du sol — ce qui nous fait
rentrer un peu dans la réalité — tout dans cette histoire serait
extraordinaire.
Les architectes, M. Petit et M.Brébant, déclaraient, avant de
commencer leurs plans, qu'ils n'accepteraient aucun honoraire
et, ce qui est plus surprenant encore, qu'ils ne dépasseraient pas
les devis; les entrepreneurs apportaient des comptes fantastiques
par leur simplicité; les maçons parlaient de travailler le lundi.
Quelle était donc, Messieurs, la fée assez puissante pour ren-
verser ainsi toutes les habitudes de la vie, toutes les notions
connues ? C'était la fée Enthousiaste qui s'était invitée elle-même
dès le jour où elle avait entendu parler de l'Institut Pasteur.
Comme il s'agissait de combattre contre de mauvais génies que
M. Pasteur'pouvait emprisonner dans des flacons de verre, et non
seulement réduire à l'impuissance, mais encore transformer en
génies protecteurs, cette fée, accompagnée de sa sœur la Généro-
sité, se mit en campagne. Toutes deux parcoururent les com-
munes de France et même de l'étranger, en annonçant la bonne
nouvelle dans les palais, dans les châteaux et dans les chau-
mières.
Comme toujours^ et pour ne pas faire mentir le conte, elles
INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 23
rencontrèrent parfois sur leur route des fées plus ou moins
redoutables qui, soit isolées, soit en conseil, essayèrent de leur
jeter un sort en prononçant des paroles dont personne ne se
souvient aujourd'hui. Ainsi d'ailleurs que les choses se passent
dans les contes qui hnissent bien, les bonnes fées triomphèrent
et tous leurs souhaits furent les plus beaux du monde. Nous
avons essayé de les mettre en pratique.
C'est à la Banque de France et au Crédit Foncier, Messieurs,
que toutes les sommes ont été centralisées. Les deux reg^istres
qui sont là, sous vos yeux, contiennent laliste des souscripteurs.
En entendant le rapport de M. Grancher, vous pouviez vous dire
que les chiffres ont leur éloquence; j'oserai dire, en parlant des
nôtres, qu'il ont leur émotion. Les sommes prodigieuses et les
offrandes minimes, tout est inscrit — avec les noms en regard
— dans ce livre d'or dont les pages feront un jour un des
chapitres les plus touchants et les plus glorieux de l'histoire de
cette maison.
Je conseillerais à ceux qui ne voient l'humanité que sous un
vilain jour, qui vont répétant que tout est pour le pire ici-bas,
qu'il n'y a dans le monde ni désintéressement ni dévouement, de
jeter un coup d'oeil sur les documents humains de l'Institut Pas-
teur. Ils apprendront là, pour commencer par le commencement,
que l'on rencontre dans les Académies des confrères que non
seulement la gloire d'un autre n'offense pas, mais qui trouvent
leur bonheur et mettent leur fierté dans cette gloire; que les
hommes politiques et les journalistes ont souvent la passion du
vrai et du bien; que jamais à aucune époque les Français n'ont
mieux aimé leurs grands hommes, qu'ils leur rendent justice dès
ce monde — ce qui est encore la meilleure manière — que nous
avons acclamé la fête de Victor Hugo, le centenaire de Chevreul
et l'inauguration de l'Institut Pasteur. « Quand un Français dit
du mal de lui, disait un jour un des confrères de M. Pasteur, ne
le croyez pas : il se vante. » A l'inverse d'une phrase célèbre et
pessimiste, on pourrait dire que, dans cette souscription, toutes
les vertus se perdent dans le dévouement comme les fleuves se
perdent dans la mer.
Que d'exemples je pourrais citer, si les plus généreux dona-
teurs n'avaient demandé que l'on no prononçât pas leur nom!
Mais si je ne puis parler des souscriptions isolées, vous me per-
24 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR.
mettrez, Messieurs, de rappeler quelques souscriplions collectives,
depuis les dotations oiïerles par l'admirable feslival du Trocadéro
oii, comme le disait M. Pasteur, « les grands charmeurs de l'hu-
manité heureuse apportèrent leur glorieux concours à ceux qui
veulent servir l'humanité souiïranle, » jusqu'aux fêtes de petites
villes et de villages où l'on se cotisait pour offrir « le cadeau de
la misère ». Un jour, des ouvriers de la verrerie d'Aumale de-
mandèrent au poète des humbles, àM. François Coppée, des vers
pour mieux honorer le génie de M. Pasteur et envelopper leur
obole. En les envoyant à M. Pasteur, M. Coppée finissait ainsi :
Ils ont le compliment rimé qui leur manquait
Et peuvent te l'ofFrir, Pasteur, comme un bouquet
Au patron, le jour de sa fête.
Il y eut une souscription plus touchante encore. Ce fut celle
de 43,000 francs qu'apportèrent les Alsaciens-Lorrains. C'est
d'Alsace qu'était venu le petit Joseph Meister, qui fut le premier
inoculé, et qui est resté en correspondance avec « son cher
M. Pasteur », comme il l'appelle toujours. Ces lettres intimes,
ces pièces à l'appui, je les ai demandées à M. Pasteur. Mais il
n'a pas voulu me les donner. Jamais rapporteur n'a été moins
secondé que moi. Heureusement, j'ai les chiffres de la souscrip-
tion.
Elle s'est élevée à Fr. 2,586,680
Dans ce chiffre, il faut compren-
dre les 200,000 francs votés par les
Chambres et le don offert par M. le
Président du Conseil.
Les dépenses s'élèvent à ce
jour, à 1,223,786
Nous avons encore à payer aux en-
trepreneurs 240,000
L'achat des instruments des labora-
toires exig-era 100,000
Les dépenses totales s'élèveront
^ 1,563,786
Ce qui laissera un solde disponible,
qui formera la dotation de l'Institut Pas-
INAUGURyVnUN DE L'INSTITUT PASTEUR. 23
Si on veut connaître la nature de ces dépenses, on voit
qu'elles se décomposent ainsi :
Fr.
Ul ,475
!J]7,r;77
1 00,000
Frais de circulaires, imprimés, bulletins
de
1 2,421
Frais d'actes notariés
41 G
Entretien des laboratoires pendant trois ;
ans.
91.897
Total
Fr.
1,303,780
On remarquera que cette souscription
, qui
a produit
2,586,680 francs, et qui, après toutes les dépenses payées, laissera
à l'Institut Pasteur un capital disponible de 1,022,894 francs,
n'aura coûté que 12,421 francs de frais. Si je ne craignais de
commettre une indiscrétion, je rappellerais que, dans une séance
du comité, M. l'amiral Jurien de la Gravière, dont nous regret-
tons vivement l'absence dans cette fête, avait proposé de consa-
crer une somme de 6,000 francs à la publicité. Mais le concours
si bienveillant de la presse nous a permis d'économiser celte
somme.
Il me reste, Messieurs, à vous faire connaître un dernier
donateur qui abandonne à l'Institut les bénéfices de la vente, en
France, des vaccins découverts dans le laboratoire. MM. Cham-
berland et Roux ont suivi leur maître dans sa générosité. Après
avoir provoqué cette grande œuvre, M. Pasteur aura été un des
plus grands souscripteurs.
C'est ainsi, Monsieur (car mon incompétence scientifique
bien plus encore que ma modestie naturelle me défend de vous
dire : illustre maître, et je n'ose d'autre part, usant de la fami-
liarité naïve du jeune Meister, vous appeler: mon cher monsieur
Pasteur), c'est ainsi, Monsieur, que la générosité publique, le
concours du gouvernement, votre désintéressement, enfin, ont
fondé et consolidé l'établissement que nous inaugurons aujour-
d'hui. C'est ainsi qu'a été assuré à votre œuvre ce pain quotidien
qui fait parfois défaut aux plus ardentes prières et auquel l'avenir
ajoutera, je l'espère, pour ce qui vous concerne, les douceurs
26 INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTKUR.
complémentaires, presque aussi nécessaires que le pain de
chaque jour.
La sollicitude publique qui a entouré cette œuvre à son
berceau ne lui fera pas défaut. L'élan des cœurs généreux ne
s'est pas ralenti : demain nous apportera ce qui fait défaut
aujourd'hui, et vos collaborateurs, vos élèves et vos successeurs
pourront poursuivre avec sécurité et avec confiance le cours de
leurs travaux.
Certes, c'est pour vous, Monsieur, un bonheur rare et
presque inespéré. Qu'il vous console des luttes passionnées, des
émotions poignantes, des crises parfois terribles que vous avez
traversées! Quand je songe à ce passé si plein de troubles et de
dangers, je songe aussi malgré moi à l'ironie de ces phrases
toutes faites qui parlent de la sérénité de la science et de la paix
deS' laboratoires.
Mais je m'écarte, Monsieur, et je vous en demande pardon,
de l'objet précis de ma mission. C'est votre faute, après tout.
Vous nous avez mis dans la maison. Vous avez cru obligeam-
ment que nous serions bons à quelque chose, ne fût-ce qu'à
maintenir l'ordre dans la comptabilité, la régularité dans la
gestion de ce trésor qui était bien le vôtre et avec lequel vous
avez constitué une puissante réserve pour la science, en vue des
découvertes de l'avenir. Vous ne nous avez pas défendu d'ajouter
au zèle que vous attendiez de nous notre respect et notre affection.
C'est votre faute, encore une fois. On ne peut vous entendre
sans vous admirer. On ne peut vivre à côté de vous sans vous
aimer.
M. Pasteur, ne pouvant maîtriser son émotion, dut charger son fils
de lire son discours :
DISCOUnS DE M. l'ASTEUrt.
Monsieur le Président,
Messieurs,
Celui qui, dans vingt ans, écrira notre histoire contempo-
raine et recherchera quelles ont été, à travers les luttes des
INAUGURATION DE L'INSTITUT PASTEUR. 27
partis, les pensées itilimes de la France, pourra dire avec fierté
qu'elle a placé au premier rang de ses préoccupalions rensei-
gnement à tous les degrés. Depuis les écoles de viilagejusqu'aux
laboratoires des hautes études, tout a été soit fondé, soit renou-
velé. Élève ou professeur, chacun a eu sa part.
Les grands maîtres de l'Université, soutenus par les pou-
voirs publics, ont compris que, s'il fallait faire couler comme
de larges fleuves l'enseignement primaire et l'enseignement
secondaire, il fallait aussi s'inquiéter des sources, c'est-à-dire
de l'enseignement supérieur. Ils ont fait à cet enseignement la
place qui lui est due. Une telle instruction ne sera jamais réser-
vée qu'à un petit nombre ; mais c'est de ce petit nombre et de
son élite que dépendent la prospérité, la gloire et, en dernière
analyse, la suprématie d'un peuple.
Voilà ce qui sera dit et ce qui fera l'honneur de ceux qui ont
provoqué et secondé ce grand mouvement. Pour moi. Messieurs,
si j'ai eu la joie d'aller, dans quelques-unes de mes recherches,
jusqu'à la connaissance de principes que le temps a consacrés et
rendus féconds, c'est que rien de ce qui a été nécessaire à mes
travaux ne m'a été refusé.
Et le jour 011, pressentant l'avenir qui allait s-'ouvrir devant
la découverte de l'atténuation des virus, je me suis adressé direc-
lementà mon pays pour qu'il nous permît, par la force et l'élan
d'initiatives privées, d'élever des laboratoires qui non seulement
s'appliqueraient à la méthode de prophylaxie de la rage, mais
encore à l'étude des maladies virulentes et contagieuses, ce
jour-là la France nous a donné à pleines mains
Souscriptions collectives, libéralités privées, dons magni-
fiques dus à des fortunes qui sèment les bienfaits comme le
laboureur sème le blé, elle a tout apporté, jusqu'à l'éparg-ne
prélevée par l'oaviier sur le salaire de sa rude journée.
Pendant que se faisait cette œuvre de concentration fran-
çaise, trois souverains nous donnaient un lémoignag'e de sym-
pathie effective. Sa Majesté le sultan voulait être un de nos
souscripteurs ; l'empereur du Brésil, cet empereur homme de
science, inscrivait son nom avec la joie d'un confrère, disait-il,
et le tsar saluait le retour des Russes que nous avions traités
par un don vraiment impérial.
Devant les médecins russes qui travailleront dans nos labo-
28 INAUGURATJON Dli L'INSTITI T l>ASTliL'll.
raloiresetsont déjà présents parmi nous, j'adresse au Isar l'hom-
mage de noire respectueuse gratitude.
Comment toutes ces sommes ont été centralisées au Crédit
Foncier de France et l'usage qui en a été fait, vous venez de l'ap-
prendre, Messieurs. Mais ce que M. Christophle ne vous a pas
dit, c'est avec quel souci il a géré ce bien national.
Avant la pose delà première pierre, le comité de patronage
de la souscription a décidé, malgré moi, que cet Institut porte-
rait mon nom. Mes objections persistent contre un titre qui
réserve à un homme l'hommage dû à une doctrine. Mais, si je
suis troublé par un tel excès d'honneur, ma reconnaissance
n'en est que plus vive et plus profonde. Jamais un Français
s'adressant à d'autres Français n'aura été plus ému que je ne le
suis en ce moment.
La voilà donc bâtie, cette grande maison dont on pourrait
dire qu'il n'y a pas une pierre qui ne soit le signe matériel d'une
généreuse pensée. Toutes les vertus se sont cotisées pour élever
cette demeure du travail.
Hélas ! j'ai la poignante mélancolie d'y entrer comme un
homme « vaincu du temps », qui n'a plus autour de lui aucun
de ses maîtres, ni même aucun de ses compagnons de lutte, ni
Dumas, ni Bouley, ni Paul Bert, ni Vulpian qui, après avoir été
avec vous, mon cher Grancher, le conseiller de la première
heure, a été le défenseur le plus convaincu et le plus énergique
de la méthode !
Toutefois, si j'ai la douleur de me dire : Ils ne sont plus,
après avoir pris vaillamment leur part des discussions que je
n'ai jamais provoquées, mais que j'ai dù subir; s'ils ne peuvent
m'entendre proclamer ce que je dois à leurs conseils et à leur
appui; si je me sens aussi triste de leur absence qu'au lende-
main de leur mort, j'ai du moins la consolation de penser que
tout ce que nous avons défendu ensemble ne périra pas.
Notre foi scientilique, les collaborateurs et les disciples
qui sont ici la partagent.
Le service du traitement de la rage sera dirigé par M. le pro-
fesseur Grancher, avec la collaboration des docteurs Chante-
messe, Charrin et Terrillon.
M. le ministre de l'instruction publique a autorisé M. l)u-
claux, le plus ancien de mes élèves et collaborateurs, aujourd'hui
INAUlUjUATION DE L'INSTITUT l'ASTEUR. 29
professeur h la Faculté dos sciences, à transporter ici le cours
de chimie bioloi^ique qu'il fait à la Sorbonne. Il dirigera le labo-
ratoire de microbie générale.
M. Chamberland sera chargé de la microbie dans ses rap-
ports avec l'hygiène ;M. le docteur Roux enseignera les méthodes
microbiennes dans leurs applications à la médecine. Deux savants
russes, les docteurs Metchnikoff et Gamaleïa, veulent bien nous
prêter leur concours. La morphologie des organismes inférieurs
et la microbie comparée seront de leur domaine.
Vous connaissez, Messieurs, les espérances que nous don-
nent les travaux du docteur Gamaleïa. C'est à dessein que je me
sers du mot espérances. L'application à l'homme est loin d'être
faite en ce moment; mais la plus rude étape est franchie.
Constitué comme je viens de le dire, notre Institut sera à
la fois im dispensaire pour le traitement de la rage, un centre de
recherches pour les maladies infectieuses et un centre d'ensei-
gnement pour les études qui relèvent de la microbie. Née d'hier,
mais née tout armée, cette science puise une telle force dans ses
victoires récentes qu'elle entraîne tous les esprits.
Cet enthousiasme que vous avez eu dès la première heure,
gardez-le, mes chers collaborateurs, mais donnez-lui pour com-
pagnon inséparable un sévère contrôle. N'avancez rien qui ne
puisse être prouvé d'une façon simple et décisive.
Ayez le culte de l'esprit critique. Réduit à lui seul, il n'est
ni un éveilleur d'idées, ni un stimulant de grandes choses. Sans
lui, tout est caduc. Il a toujours le dernier mot. Ce que je vous
demande là et ce que vous demanderez à votre tour aux disciples
que vous formerez, est ce qu'il y a de plus difficile à l'inventeur.
Croire que l'on a trouvé un fait scientifique important,
avoir la fièvre de l'annoncer, et se contraindre des journées, des
semaines, parfois des années à se combattre soi-même, à s'ef-
forcer de ruiner ses propres expériences, et ne proclamer sa
découverte que lorsqu'on a épuisé toutes les hypothèses con-
traires, oui, c'est une tâche ardue.
Mais quand, après tant d'efforts, on est enfin arrivé à la
certitude, on éprouve une des plus grandes joies que puisse res-
sentir l'âme humaine, et la pensée que l'on contribuera à l'hon-
neur de son pays rend cette joie plus profonde encore.
Si la science n'a pas de patrie, l'homme de science doit en
30 INAIKIURAÏION DE L'INSTITUT PASTEUR.
avoir une, et c'est à elle qu'il doit reporter rinduence que ses
Li-avaux peuvent avoir dans le monde.
S'il m'était permis, Monsieur le Président, de terminer par
une réflexion philosophique provoquée en moi par votre présence
dans cette salle de travail, je dirais que deux lois contraires
semblent aujourd'hui en lutte : une loi de sang et de mort qui,
en imaginant chaque jour de nouveaux moyens de combats,
oblige les peuples à être toujours prêts pour le champ de bataille,
et une loi de paix, de travail, de salut, qui ne songe qu'à déli-
vrer l'homme des fléaux qui l'assiègent.
L'une ne cherche que les conquêtes violentes, l'autre que
le soulagement de l'humanité. Celle-ci met une vie humaine au-
dessus de toutes les victoires ; celle-là sacrifierait des centaines
de mille existences à l'ambition d'un seul.
La loi dont nous sommes les instruments cherche même à
travers le carnage à guérir les maux sanglants de cette loi de
guerre. Les pansements inspirés par nos méthodes antiseptiques
peuvent préserver des milliers de soldats.
Laquelle de ces dei^x lois l'emportera sur l'autre ? Dieu
seul le sait. Mais ce que nous pouvons assurer, c'est que la
science française se sera efforcée, en obéissant à cette loi d'hu-
manité, de reculer les frontières de la vie.
Les applaudissements, qui avaient éclaté à chaque paragraphe de
ce discours, reprirent enthousiastes, à cette dernière page. Dans cette
assemblée composée d'éléments si divers, il n'y eut plus qu'une âme
commune, l'âme de tout un peuple qui vibrait avec l'âme de cet
homme de labeur, de patriotisme et d'humanité. Ce fut une minute
inoubliable d'émotion haute et généreuse.
M. le Président de la République, après avoir serré la main de
M. Pasteur, se leva et dit :
« M. Pasteur n'a voulu d'autre récompense que celle que nous
pouvons donner à ses collaborateurs : M. GrancberetM. Duclauxsont
nommés officiers de la Légion d'honneur, M. Chantemesse est nommé
chevalier de la Légion d'honneur. Les palmes d'officier d'Académie
sont décernées à M. Brébant, architecte de l'Institut Pasteur. •
APPENDICE
Dans les journées des 13, 14 et io novomhro, M. Pasloiir a reçu de l'é-
Iranger un grand nombre de lélégramnies de fclicilalions, justifiant une
fois de plus la pensée rappelée dans son discours que la science n'a pas de
pairie.
Profondément louche des vœux formés pour sa personne et la prospérité
de l'établissement qui vient d'être inauguré, M. Pasteur prie les sociétés
savantes et les personnes dont les noms suivent de vouloir bien agréer ici
l'expression de sa vive reconnaissance :
La Société entoniologique du midi de la Russie, à Odessa;
La Société impériale des Amis de la nature, à Moscou;
La Société des naturalistes d'Odessa;
La Station bactériologique d'Odessa;
L'Académie impériale de médecine de Saint-Pétersbourg;
La Société de médecine d'Odessa;
Les médecins de l'hôpital de la ville d'Odessa;
La Société des pharmaciens d'Odessa;
La Régence provinciale de Bessarabie ;
Le Comité des Congrès des médecins russes, à Saint-Pétersbourg;
Les étudiants de l'Université d'Odessa;
Le Conseil médical russe, à Saint-Pétersbourg;
La Conférence des médecins de l'hôpital militaire de Moscou;
La Société de chirurgie de Moscou;
Le Congrès des médecins et des représentants du gouvernement de
Cherson;
La Société des médecins praticiens de Saint-Pétersbourg;
La Société des sciences médicales de Lisbonne:
S. A. le prince Alexandre d'Oldenbourg, en son nom et au nom de la
Station antirabique de Saint-Pétersbourg;
Le professeur ProtopopofT, de KarkolF;
Le professeur Hueppe, de Wiesbaden;
Le professeur sir James Paget, de Londres;
Le professeur Poehl, de Saint-Pétersbourg;
Le directeur du journal de la Société agricole impériale d'Odessa;
Le professeur Gantani, de Naples;
La famille de Herz, de Bucarest;
Ea famille Retzius, de Stockholm;
José Julio Rodriguez, de l'École polytechnique de Lisbonne;
Le docteur E. Ullmann, de Vienne;
Le professeur Anrep, de Saint-Pétersbourg;
Le docteur Burnay, de Lisbonne...
SCEAUX. — IMPIUMERIE: CHAnAIRE.